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L' Enfant  aux  Nœuds

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En 2005 dans le cadre des Photofolies à la Menuiserie de Rodez Jeanne Ferrieu ouvre 3 espaces aux installations de l'artiste plasticienne.   
 

 

Installation
 

Emulsions argentiques sur organza. Draps/ Rubans/ Pastel noir/ Plâtre/ Bassine/  Photo  numérique   encre pigmentaire  sur  toile  tendue  sur châssis. Livres-objets 

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La Nuit du 1er janvier 2002 mon père meurt. A partir de cet instant je viens revivre dans la maison de mon enfance, au chevet de ma mère qui mourra 25 jours plus tard.
Chaque nuit suivant cette double perte, je déambule dans la demeure labyrinthe, dépouillant les murs, les plafonds et les sols des différents matériaux superposés au fil du temps.
Je retrouve ainsi le décor de mon enfance et cette petite photo que j’avais oubliée.
J’ai 3 ou 4 ans et je ne dois pas très bien comprendre pourquoi je suis ainsi préparée, si différente de mes frères. Je porte une robe blanche smockée, deux énormes nœuds sur la tête  et  pour la vie je suis invitée à être mignonne.

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Enfant dans les années 50, j’écoutais sans jamais me lasser les histoires de soldats. Le ravage des deux dernières guerres était encore très présent. Dans chaque famille quelqu’un manquait et bien que la douleur fût rarement formulée, je la percevais à demi-mot. Cependant la vie avait repris de plus belle avec une énergie résiliente phénoménale et je me suis construite en partie avec ça. Du haut de mes 4 ans, j’étais persuadée de pouvoir tout réparer si désormais on me laissait faire. Pour donner le « la » je voulais nouer mes nœuds de soie sur la tête des hommes soldats. Je pensais que rendus gracieux, ils seraient préparés comme moi à ne jamais se battre et à ne pas mourir à la guerre. Je devenais ainsi le chef d’orchestre d’une sarabande joyeuse où je me sentais la force malicieuse de pouvoir tout accorder.

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Je n’ai pas noué mes nœuds de soie sur la tête des hommes.
Ni sur la tête de mes frères.
Ni sur la tête de mon père.
D’interdit en interdit, sans comprendre, j’ai fini par m’y perdre et par me taire. Cinquante années se passèrent ainsi en distillant une encre noire de survie.
Mais…
Un jour, je rencontre le Minotaure et je découvre ma formidable violence.
Celle que je cache bien enfouie.
Celle que je m’interdis.
Celle qui me fait sombre, prête à détoner.
Celle que je ne peux qu’exercer à petite dose derrière de subtils faux-semblants.
Celle qui me fait indifférente et étrangement lascive.
Un jour je sais que je suis violence.

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En mesurant l’ampleur de ma propre violence, je perçois une troublante nécessité à assister au carnage quotidien qu’il m’est donné de voir sur le petit écran de ma télévision.
La fascination qu’exercent sur moi ces visions sanglantes me fait comprendre qu’il n’y a aucune différence entre ma violence débusquée et ce désastre filmé.
La guerre est donc le reflet de mon intériorité, le miroir de ma rage et tout en pensant m’indigner et m’y soustraire, je trouve là à exorciser ma cruauté. Voilà pourquoi j’ai pu jusqu’ici intégrer si passivement de telles images à mon existence sans véritablement réagir et m’investir dans l’acte d’aimer.
Quoi ! Mon essence est cette blessure blessante que j’interroge :
Si tout ce qui m’épouvante me soigne, l’horreur mon salut est-il ?
Pour être reconnue et être aimée, j’ai fini par prendre la pause exigée.
Et c’est ainsi qu’à mon insu, dans les plus petits gestes de la vie quotidienne et jusqu’à cette prise de conscience surprenante, j’ai vécu femme et terroriste.

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