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Les Chemins du manque

Dernière mise à jour : 10 mai 2021

Au commencement il y avait le manque, le manque du corps de l’être aimé.

J’ai quitté mon lit à la pointe du jour, pour ne pas, dans les draps, tourner en rond en quelque sorte.


Ma marche fut une marche obstinée, la tête rentrée dans les épaules, totalement à mon incomplétude. Puis, lentement, j’ai relevé la tête et j’ai vu la terre et l’horizon.


J’ai compris que je marchais sur le corps de mon désir. Je ne piétinais pas mon désir, je le mettais en marche.


Je marchais sur l’origine du monde.


Là, tout convergeait et s’y engouffrait. Mais je dis bien je marchais, car si mon œil s’y enfonçait, mon corps ne s’y engloutissait pas. La terre ne m’aspirait pas elle me donnait à aller de l’avant.

Elle me mettait en route.



Chaque matin j’accomplissais ce miracle de marcher sur la terre-chair.


Rentrée chez moi, après le décrottage de mes caoutchoucs, je parlais d’autre chose, je vivais d’une autre existence.


Il y avait les chemins et il y avait ma vie. Les chemins restaient suspendus dans un mouvement perpétuel. Une marche bien réelle et irréelle à la fois.


Je rencontrais là, une dimension gagnée à l’obstination à me mettre debout et à avancer.


La roue que mon mouvement générait s’est substituée au « tourner en rond » des draps du manque. Dans cette énergie du manque nous avons créé cette roue pour quelle nous entraîne plus vite encore.


Mais pourrions nous devenir un homme–marches emboitant le pas de l' homme qui marche ?




Les chemins c’est une vieille histoire.

C’était en 2002.

Je me suis installée dans la maison de mes parents qui venaient de mourir. Une grande maison délabrée. Le toit n’était plus qu’une passoire.

Il y pleuvait, mais j’avais des cuvettes et de l’énergie.


J’y ai investi en atelier les 400 m2 d’espace. Ce fût extraordinaire !

C’est là que les chemins ont commencé, dans la maison de mon enfance, lorsque je la quittais au petit matin pour ne pas entendre ses soupirs et les miens.





Aujourd’hui c’est fini, les photos que j’ai pris à l’époque ne sont plus prenables.

Ces chemins là n’existent plus.


Les chemins sont aseptisés, nivelés, élargis. Plus d’ornières. Ils sont praticables pour les machines agricoles gigantesques, pour les quads et pour les étalons.

Mes chemins sont perdus.


La sensualité de mes chemins a disparue. C’est terminé. Il n’y a pas à y revenir.


Mais je m’obstine à marcher ici et toujours je renais à la plaine et à ses champs immenses, à l’horizon gardé par ses sentinelles aux bras ouverts, les éoliennes poussent comme des champignons et cernent le village.

Le vent est heureux ici. Il s’étourdit sur ces demoiselles imposantes et dociles qui, aguichantes clignent un œil jaune ou rouge aux passages des oiseaux migrants.




Mais, vingt années plus tard, où sont les oiseaux ?


C’est qu’il a fallu en passer des engins énormes, des convois dits exceptionnels, lents, plus lourds que des canons.

Il fallait qu’il n’y ait plus d’ornières propres à engloutir les machines, ces grands chars dépourvus de grincements.

Ma chair, celle de mes chemins fut liftée. Il n’y a rien à redire. C’est propre et radical. Digne d’une photo retouchée.


Plus d’oiseaux, pas plus d’insectes. Plus de papillons, plus de bourdonnements d’abeilles, de guêpes ou de bourdons.

Juste quelques mouches que je dérange en foulant le chemin de terre sèche, ces chemins d’aujourd’hui.


Mais contre toute attente, deux corbeaux sillonnent soudain le ciel.




Je les reconnais, je sais que ce ne sont pas des corneilles. Les corbeaux sont plus lourds, battant lentement leurs ailes. Les voir me rend le sourire pour un instant, la curiosité et l’émerveillement.

Sans ces oiseaux nettoyeurs, nos routes ressembleraient à une Saint-Barthélemy animalière.


Mais cette marche n’est pas vraiment sereine.


Hier j’aimais le silence de la plaine mais c’était un silence bruyant ou plus justement harmonieux, un silence peuplé de chants divers.


Je me souviens aussi des lapins qui détalaient devant moi me montrant leurs petits derrières blancs. Les gros faisans balourds, qui à mon approche, dans un fracas de groupe me sortaient radicalement de mon rêve de marcheur.


Et les têtards dans les flaques où sont-ils ?


Il n’y a plus rien de tout ça et ce que je dis semble inimaginable, de l’ordre du délire et pourtant c’est aussi vrai que les masques plantés sur nos visages, c’est du même ordre, celui de nos futures geôles.


La nature est malade et nous sommes malades.



Désormais les oiseaux que je rencontre en me bouchant le nez, sont d’acier. D’immenses machines déploient leurs ailes dans un ballet récurant pour répandre un sperme homologué.


L’entendre dire toujours et lorsque j’écoute les statistiques du désastre, ce n’est pas le voir. Le voir c’est le vivre et c’est différent.


Il n’y a là, rien à faire dans la plainte. La plainte ne sert strictement à rien.


Il y a à faire dans la prise de conscience.


Nous pensons avoir cette conscience en triant nos poubelles. Mais j’assure bien que nous ne l’avons pas.


Mon corps est la nature. La nature est mon corps. C'est un chant. C'est une ritournelle qui aujourd'hui tourne au macabre.


Dans les chemins du manque je parle de la nature comme je parle de mon corps.


Celui d’une amante sans son amant ou vis-versa.


Je marche sur mon corps. Je marche sur l’origine du monde.


C’est une expérience vécue au petit matin pendant cinq ans dans la plaine immense.


Mais photos le disent et on le voit.


C'est une histoire d'amour avec la chair des chemins.





Aujourd’hui le corps-nature est malade il a perdu ses ailes.


Je me répète, encore et encore, je l’ai déjà dit et beaucoup le dise et vous le dites.


C’est écrit, c’est rabâché, c’est constaté.


Avons-nous enclenché le processus de notre extinction ?


Un jour, l’espèce suivante pourra parler de disparition comparable à celle des dinosaures, rassurons-nous les dinosaures on mit xxxx années à disparaître.


Nous pouvons donc continuer à nous bander la bouche et le nez et les yeux mais cette fois sans alouettes.


La concordance de la nature et du corps, je lui ai également donné forme dans le travail des roses, travaux inachevés comme beaucoup de mes travaux.





Combien me faudrait-il d’assistants pour rattraper au vol tous ces projets qui n’ont pas pris une ride malgré le temps qui passe.


Il me reste les titres.

Je ne les cherche jamais, ils sont en moi.

Un jour ils remontent à ma bouche :

Les chemins du manque/La chair des roses/Les champs silencieux etc….


Tout est vécu dans ma chair. Tout est aimé. Tout est en moi dans la circulation de mon être.


Ça je le sais, mais…


Je ne sais plus où sont les oiseaux.












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